Vous vous en souvenez peut-être, en Novembre j'ai écrit un article fantastique (au sens de "genre littéraire permettant l'intrusion du surnaturel dans un récit", voyons, qu'alliez vous penser ^^).
Je venais d'entendre un géographe expliquer sur France-culture à quel point l'idée même de frontières séparant la France du reste du monde tant sur le plan géographique que symbolique était une idée à la fois erronée et dangereuse.
Ses propos étaient présentés sous le titre de "Et la France dans tout ça ? ", dans le cadre de l'émission " la fabrique de l'histoire" ( la bien nommée).
J'ai découvert qu' on avait droit une fois par semaine à ce titre ironique, utilisant le parler familier pour mieux sous entendre le peu de cas qu'un intellectuel peut faire de "l'avenir de la France", idée populiste forcément populiste. (ah, c'est quelque chose que le mépris des classes éduquées pour le "peuple" ...hein mon Bourdieu!)
C'est ainsi que j'ai entendu cette semaine une historienne qui tenait avec d'autres mots, des propos à peu près identiques à ceux de son collègue ( m'évoquant des variations de Jean Sébastien Bach en beaucoup moins beau mais suivant le même principe répétitif).
Il s'agissait cette fois d'identité nationale et surtout du fait que celle-ci n'avait jamais été figée mais constamment redéfinie . Elle était, avait été et serait mouvante, échappant donc à tout cadre figé, cette instabilité permanente ne permettant pas qu'on en donne une définition, tout en en faisant la beauté et la richesse.
C'est je crois l'argument suprême, celui que les bien-pensants les plus polis et cultivés, finissent par nous servir, à bout d'arguments, souvent après avoir nié pendant quelques heures au moins, que la société Française ait été le moins du monde bouleversée.
" De toute façon la France a toujours changé, son peuple se modifie sans arrêt et sa composition fluctuante en permanente reconstruction interdit qu'on lui définisse une quelconque identité " concluent-ils de façon, croient-ils, définitive.
Il faut dire que si l'argument parait quelque peu tordu, il n'est pas très aisé à combattre tant il est difficile de nier que la France n'est pas bien entendu restée identique à elle-même au cours de l'histoire et que sa population s'est régulièrement modifiée.
Le problème essentiel, quasi-philosophique est donc le suivant : quelque chose qui se transforme en permanence peut-il être défini ?
Sans prétendre avoir toutes les compétences, et de loin, pour répondre à cette question dorénavant essentielle puisqu'indispensable au débat politique, je vous livre quelques réflexions de simple bon sens qui me viennent à l'esprit :
Si l'on change de cadre et qu'au lieu de parler d'identité nationale on se penche sur l'identité que tout un chacun se fait de lui même, on remarque rapidement que nous sommes soumis au même problème que notre vieux pays.
Nous ne sommes plus l'enfant que nous avons été, chaque cellule de notre corps ou presque a été renouvelée depuis notre naissance, nos pensées ont évolué, nos centres d'intérêt se sont déplacés, nos familles sont parfois recomposées, nos savoirs ont changé, et pourtant nous utilisons le pronom personnel pour parler de nous, tant une impression de continuité nous permet d'identifier un "Je" pour designer cette personne qui change sans arrêt.
Notre identité survit à notre changement permanent.
Je crois qu'on peut affirmer que c'est la lenteur de ces transformations associée à notre mémoire biographique qui permet la persistance de cette notion d'identité en nous.
ça et le fait que nos cellules nouvelles sont les descendants de nos cellules mortes, que nos pensées nouvelles sont en continuité avec les anciennes ou que quand elles en diffèrent on peut en retracer le chemin, et qu'enfin si une greffe remplace un jour un de nos organes c'est avec notre accord.
Sur le plan simplement physique, si nous nous réveillions demain avec dix ans et vingt kilos de plus, et équipés d'une jambe artificielle, la brutalité du changement serait sans doute insupportable.
Et je ne vous dit pas l'ambiance si notre Qi avait changé et que nos conjoints ne soient plus les mêmes.
Si donc, un docteur Maboul nous proposait d'intervenir pour modifier définitivement et brutalement notre corps, nos pensées et supprimer notre mémoire, et ce, en une ou deux interventions, accepterions nous en vertu de l'argument que nous n'avons jamais cessé de vieillir et d'évoluer ? ( sans compter le fait que le docteur Maboul pourrait bien nous proposer de devenir moche et con à la fois !) Je suis bien sûre que non, car si l'on accepte bien de changer puisqu'il le faut...c'est lentement ou en maitrisant un tant soi peu le processus.
Bien entendu , un bouddhiste vous dirait que le moi n'est qu'illusion et que ce "Je" qui est en nous n'existe pas.
Un moine tibétain en pleine méditation serait en fait assez d'accord avec tous nos géographes et nos historiens de France-culture et ne m'écouterait probablement même pas, tout occupé qu'il serait à se fondre dans le grand tout. Pour ma part j'aurais je crois plus de facilité à me fondre dans le nirvana de la dissolution totale, entourée par des moines bouddhistes qu'entourée de Sami Nacery et autres Cortex. (dur dur de méditer entouré de gens si bruyants)
Cela prouve certainement que je suis très loin d'atteindre le stade du bouddha ou même celui du Bodhisattva, mais j'ai l'intuition que les nouveaux copains qu'on nous impose en sont encore plus éloignés...
En tout cas la disparition de l'illusion du moi est censée nous apporter l'extase....on en est loin.
Par contre il est des cas de disparition de l'identité qui ne s'accompagnent d'aucune extase bien au contraire, et lors desquels l'individu ayant plus ou moins perdu cette notion du "Je" est en état de souffrance intense, d'anxiété extrême, avec un risque important de "passage à l'acte". Perdant la maitrise de ses pensées, parfois la mémoire de ses propres traits, certains malades sont soumis à une véritable torture mentale et leur identité perdue est un enfer.
Je crains bien qu'en fait, nous ne sachions plus très bien où nous en sommes ni qui nous sommes...mais malheureusement comme des schizophrènes bien plus que comme des bouddhas.
Mais bon, on va bien trouver un neuroleptique de dernière génération quelque part, non ?