C'est seulement la deuxième fois que je vais dans ce petit marché de village du sud. N 'y ayant encore aucune habitude, je flâne entre les denrées jusqu' au moment où je repère quelques fruits qui m 'attirent au milieu d'un des étals de primeurs.
Une petite queue s ' est déjà formée que je rejoins après m 'être servie et qui se continue bientôt derrière moi. Il fait très beau, le temps est méditerranéen : ensoleillé et ralenti.
Un homme d 'une trentaine d 'année est à la caisse et non loin de lui un plus jeune et qui lui ressemble, nous force à goûter des abricots, que nous nous empressons d 'ajouter à nos cabas car ils sont , ah oui c'est vrai , délicieux.
"Elles sont françaises vos fraises ?" interroge un client à l 'arrière en désignant des fruits posés prêt de la caisse enregistreuse." "non, elle viennent de Belgique ...il n 'y a que moi qui suis français" lui répond le commerçant à la cantonade en riant de sa farce.
Une très vieille dame voutée, juste devant moi , s'adresse à lui pendant qu 'elle paye " j 'ai pas trouvé le céleri..."
"normal, il est réservé pour les gens sympathiques " lui répond il en retirant un journal qui dissimulait le contenu d 'un cageot. Et voilà du céleri et du persil qui rejoignent le panier de la grand mère qui se tourne et me prend à témoin :"ah, c 'est vraiment bien ici, je viens depuis tellement longtemps, depuis des années...je venais déjà du temps de leur papa... c 'est vous dire...pour sûr ".
Les deux marchands avec leur petit air de famille semblent ravis à l 'évocation .Les nombreux clients sont de très bonne humeur dans cette ambiance conviviale.
Je repars peu de temps après avec la petite prime "réservée" qu 'ils distribuent à tout le monde. La file des chalands s 'est étendue près de l 'étal des deux sympathiques commerçants... fils d 'immigrés arabes.
C'est un joli petit marché très paisible. Un petit coin préservé de la France à l 'ancienne.
Un petit moment tranquille avec un air des années cinquante...et dont le racisme ordinaire m 'a probablement échappé.
A quelques kilomètres de là, une épicerie de village est tenue depuis des décennies par un français d 'origine arabe. Il était là bien avant les travaux de rénovation de la mairie, on peut dire qu'il faisait partie du décor.
Depuis quelque temps il sourit peu aux clients qui se font rares. Il a laissé pousser sa barbe et n'a plus l 'air de jamais plaisanter. Il parait que sa fille ainée est voilée.
Ses anciens amis parlent de lui en murmurant sur les bancs de la place " ça alors!"
Dans Télérama on m 'explique que le problème vient du rejet de l 'Autre.