Autrefois à l'école, on nous faisait faire des " rédactions". Ce travail consistait à remplir une ou deux pages d'un cahier à carreaux avec un petit texte de notre cru portant sur un sujet imposé par l'institutrice.
J'aimais particulièrement cet exercice, y trouvant l'avantage incommensurable de pouvoir l'effectuer sans avoir aucune leçon à apprendre.
Un thème particulièrement classique revenait régulièrement : " racontez vos vacances" nous disait-on avant de nous laisser à nos cahiers, et aux souvenirs tout frais que nous nous mettions alors à faire revivre presque en silence, accompagnés du seul bruit des stylos sur les pages et de rares mouvements de pieds sous les tables.
De retour après cette période de fêtes, sans doute propice à une certaine nostalgie, j'ai eu envie de me livrer de nouveau, des décennies après, à cet exercice, et je vous propose donc ma rédaction de rentrée :
Pendant les vacances je suis allée près de Paris, qui est la capitale de la France, dans l'endroit où j'habitais quand j'étais toute petite avec Pépé et Mémé.
ça a beaucoup changé. Les maisons et aussi les gens dans la rue.
Au début, il y avait plein de toutes petites maisons pas toujours très jolies mais avec de petits jardins devant ou derrière, et souvent les messieurs dans la rue avaient des casquettes et de petits chiens et les gens disaient bonjour monsieur bonjour madame et aussi mademoiselle.
Après ( quand j'avais déménagé et que Pépé et Mémé étaient un peu vieux) ils ont enlevé les petites maisons et à la place ils ont mis de grands immeubles très beaux parce qu'on voit les arbres dedans et avec le ciel ça fait plein de couleurs bleues et vertes qui vont bien ensemble et ce sont des bureaux.
Ensuite il y a eu plein de messieurs bien habillés avec des costumes qui sont arrivés. Ils marchaient très vite avec des attachés cases et ils n'avaient pas de petits chiens parce que ça les aurait trop encombrés dans leur bureau.
Maintenant on dirait que les messieurs bien habillés sont toujours dans les immeubles (on les voit quand ils allument le soir à l'intérieur parce que c'est vitré) mais dans la rue ce n'est pas pareil parce qu'il y a plein de gens qui ne sont pas vieux et qui sont habillés pour faire du sport. Pourtant ils n'ont pas l'air de faire du vrai sport : ils sautillent juste un peu sur place à la sortie du métro ou bien ils ne bougent pas à coté du café, juste ils rigolent en regardant les gens et ils font du bruit et bougent les bras. Il y en a vraiment beaucoup et ça ressemble à d'autres pays qu'on voit à la télé alors ça doit être pour ça que madame Joly a dit que " Sarkozy c'est l'africanisation de la France".
Je me demande où est le bureau des Afriques mais peut être qu'on les empêche d'entrer pour travailler derrière les vitres parce qu'ils ne veulent pas mettre des habits comme les gens qui sont dans les immeubles. Je ne sais pas pourquoi mais ça donne envie de rentrer très vite à l'appartement au lieu de donner envie de se promener à regarder les magasins. Ils rigolent beaucoup mais on n'a pas l'impression qu'ils voudraient rigoler avec nous. C'est bizarre.
Au grand magasin il y a plein de gens qui ressemblent un peu à ceux qui sont habillés en sport mais eux ils travaillent. A l'entrée il y avait plein de gens costauds comme Omar Sy (celui qui est très gentil dans le film et aussi en vrai et c'est pour ça que c'est un beau film)
Je ne sais pas si les blancs n'ont pas le droit de travailler dans les magasins.
Un moment j'ai cru que oui parce qu'à une des caisses la dame qui travaillait était blanche avec des cheveux jaunes mais après j'ai vu qu'elle parlait comme les russes. C'était peut-être pour ça qu'elle avait le droit.
Après on a pris le métro mais d'habitude on prend la voiture.
Je n'ai pas trop aimé parce qu'il y avait plein de monde, les gens passaient très vite et on était tassés avec eux et ils n'avaient pas l'air très contents du métro.
Il y avait encore plein de jeunes habillés en sport et plein de Omar Sy : eux ils avaient l'air de bien rigoler. Pas comme les dames avec des foulards qui avaient l'air très timides mais c'était peut être à cause de leur monsieurs barbus qui avaient l'air sévères. Comme ils venaient d'Afrique du Nord on pouvait encore dire comme avait dit madame Joly.
Je n'ai pas tellement aimé le métro mais à un moment c'était écrit "maison blanche" et ça c'était vraiment très très rigolo à cause de la couleur des gens qui attendaient en fumant et en se criant dessus mais c'était pour rire.
Le métro c'était quand même pratique pour aller chez les chinois. Chez les chinois aussi ça avait changé parce qu'il y avait plein d'Afriques qui se promenaient.
Ensuite on a changé d'endroit pour les vacances.
Je suis allée voir les vaches dans l'endroit où j'habitais avant d'en avoir marre de la pluie.
C'est un endroit très joli, avec beaucoup de pommiers. Quel dommage qu'il pleuve tout le temps, mais aussi c'est pour ça que l'herbe est si verte.
C'était pareil qu'avant et rien n'avait beaucoup changé mais c'est peut-être parce qu'il n'y a pas très longtemps que j'ai déménagé. Il y a eu de la pluie comme d'habitude mais les gens étaient très gentils, en plus ce sont des amis. Dans cet endroit là il n 'y a pas d'Afriques et presque pas de jeunes habillés en sport, et les gens disent que ça ne serait pas grave du tout qu'il y en ait comme à Paris . Les gens sont contents, ils aiment tout le monde, et ils vont tous voter Hollande parce qu'il est mou mais que les autres sont très méchants ou très bêtes ou les deux.
Je leur ait dit que mon endroit de quand j'étais petite était devenu très bizarre, mais ils m'ont expliqué que c'était normal parce que les africains n'ont plus rien à manger et en plus il viennent nous aider avec le travail que les autres ne veulent pas faire.
Du coup je me suis demandée comment ça va faire quand tous les gens qui meurent de faim vont venir rigoler à la sortie du métro et près des bistrots et chez les chinois ou à la station maison blanche en criant dans des téléphones.
Et puis je ne comprend pas non plus pourquoi les blancs refusent de travailler dans les magasins. C'est bizarre parce que quand j'étais petite ils avaient l'air de bien vouloir.
Après je me suis dit que peut-être les gens qui vivent près des vaches ne m'ont pas tellement écoutée quand je leur ai raconté mes histoires de Paris.
Ce n'est pas très grave parce que quand leur endroit aura beaucoup changé ça leur fera bizarre à eux aussi et peut-être que, même gentils comme ils sont, ils trouveront que ça donne moins envie de se promener et plus envie de rester dans les appartements.