Je ne me promène pas dans la gauchosphère : les gens y passent leur temps à comparer les mérites de Hollande et ceux d'Aubry qui n'ont pas les mêmes opinions sur la couleur des rideaux, ou à se réjouir à l'idée d'arracher bientôt la mauvaise moquette installée par Sarkosy : le tout dans une chambre d'hôpital où on voudrait nous contraindre à la greffe d'une nouvelle tête.
La décoration nous fera une belle jambe quand notre cerveau aura été échangé.
Je me promène beaucoup dans la réacosphère : les établissements sont variés et il y en a pour tous les goûts. Le point commun qu'ils ont est de s'opposer aux chirurgiens fous, et, même s'ils ne sont pas, loin de là, sur la même longueur d'onde, au moins on n'y parle pas seulement de décoration.
Quelle variété ! Quelle diversité oserais-je dire, et ainsi quel plaisir de passer d'un bistrot à un grand restaurant en cliquant d'un endroit à l'autre.
J'ai mes habitudes :
Prenez cet établissement par exemple : un petit restaurant gastronomique, décoré de bibliothèques, très raffiné, dont la carte récente est encore courte mais dont les ingrédients sont si délicatement apprêtés, qu'on ne les trouve nulle part ailleurs. On nous y présente des plats de grands choix, mais avec une délicatesse si naturelle et une courtoisie telle qu'on ose s'attarder et gouter des mets dont on n'a pas l'habitude.
Un autre établissement, très différent, ne m'est pas moins sympathique : une grande taverne à la table gargantuesque. Les clients affluent, et dans une ambiance virile, quelque fois restent plantés, bien droits sur leurs jambes, et discutent entre eux. Leurs conversations denses et parfois interminables sont hachées de rires communicatifs.
Si une bagarre éclate, alors c'est toute la salle qui peut être secouée, mais l'ordre finit toujours par se rétablir assez spontanément. Si vous aimez parler et rire en mangeant, vous y trouverez toujours un ou deux convives pour échanger avec vous à voix haute et vous conseiller des boissons fortes.
Si quelque gauchiste s'égare là, il est toujours stupéfait et referme souvent vite la porte en poussant quelques cris d'orfraie. S'il ne part pas à temps, des chasseurs lui tirent du gros sel dans l'arrière train.
Et celui-ci : club très chic mais confortable, à la taille imposante mais auquel une élégance classique donne un air d'intimité alors que sa fréquentation est intense comme celle d'un hall de gare. On y boit quelques cocktails et grignote des petits fours autour d'un buffet richement garni, en discutant. Il y a même des fauteuils pour les habitués. Tout cela est fort agréable et serait même parfait si de temps à autre un des convives ( pas toujours le même) ne se permettait de jeter le fond de son verre à la figure d'un autre pendant que toute la salle sifflote en faisant semblant de regarder par la fenêtre. Ne dites rien au malotru, il vous toiserait des pieds à la tête et c'est vous qui finiriez gêné.
Bien entendu, j'y passe pour les délicieux apéritifs mais ne me risquerais pas à m'attarder longtemps quand vient l'heure du diner.
N'oublions pas celui là : mi-restaurant mi-boite de nuit, c'est un établissement branché et select bien qu'il soit ouvert aux quatre vents. L'ambiance y est un peu étrange car quelques jeunes gens palots tiennent des conversations savantes sur les évangiles pendant que d'autres s'épilent le nombril et que des filles se tortillent langoureusement sur des estrades.
Ici, plusieurs chefs élaborent des plats, parfois tout à fait remarquables mais parfois totalement indigestes tant le mélange des ingrédients dans une recherche effrénée d'originalité peut conduire à des catastrophes gustatives. Ne leur dites rien : tout ce qui a l'étiquette de la boite leur parait merveilleux, même les pires ragouts.
D'autres encore... bien entendu...il faudrait un guide entier, et j'aurais pu aussi vous parler de petits endroits qui ressemblent à des cafés littéraires mais dans lesquels il arrive que vous vous trouviez tout à coup au milieu d'une pièce privée qu'aucun rideau ne séparait du reste et vous sortez, trop content qu'on semble ne pas avoir remarqué votre indiscrète présence.
J'aurais pu vous parler d'endroits qui ressemblent à des superettes et d'autres à des musées dans lesquels on s'ennuie un peu à cause du silence qui y règne. J'aurais pu vous décrire des vérandas où discutent des mémères à chapeau et aux lèvres pincées, vous parler de lieux qui servent des grand crus, des plats remarquables, d'endroits ou l'on s'amuse, vraiment, et d'autres où l'on rit jaune....
J'adore cette réacosphère.
Et vous ? me direz vous peut être, bien joli de vous moquer un peu de tout le monde! eh, c'est quoi votre petit établissement, coincé entre les bâtiments plus anciens ou plus imposants, hein, vous vous prenez pour quoi ?
Et bien j'espère avoir simplement ouvert un bistrot, un troquet où l'on s'arrête pour un verre ou un petit plat. Je garantis juste que la cuisine est faite maison (jamais de congelés c'est une règle) et j'espère continuer à recevoir les quelques habitués qui passent et parfois s'installent discuter pendant que j'essuie les verres. J'aime bien ma clientèle. J'aime bien qu'on me dise "elle était bonne votre tarte aux prunes, Dixie" ( et on a même le droit de me dire si un plat manque d'épices ou si c'est trop poivré). J'aime l'ambiance qui y règne, j'adore quand parfois les gens bavardent entre eux en trainassant, et j'adore, quand un gauchiste est entré, voir un ou deux copains se lever comme un seul homme pour le saisir sous les aisselles et l'éjecter avant de revenir finir leur verre comme si rien ne s'était passé. ça arrive rarement, mais j'adoooore.